Après « Maths à grands pas pour les PS-MS » (paru en 2015), on attendait avec impatience une suite pour les GS. C'est chose faite depuis cet été, avec cet ouvrage clé en main qui conserve l'approche originale du 1er titre. Explications avec Yves Thomas1 et Magali Hersant2, auteurs de cet opus attendu !
Comment est né le désir de créer cet ouvrage ?
Y.T. : Une partie importante des situations sont issues du site Primaths.fr, elles ont été créées pour servir de support et de complément aux formations que j’encadrais à l’Iufm. Les éditions Retz, à la recherche de propositions pratiques compatibles avec ce qu’écrit Rémi Brissiaud (notamment dans « premiers pas vers les maths ») m’ont proposé d’en faire un livre. J’ai alors sollicité le concours de Magali Hersant, partenaire de longue date dont les apports enrichissent considérablement mon travail.
Vous proposez des situations auto-validantes... Comment réagissent les élèves face à cela ?
M.H. : Beaucoup d’apprentissages fondamentaux d’un jeune enfant ont cette caractéristique : quand il essaie de se mettre debout, il n’a besoin de personne pour savoir si ses tentatives sont réussies. Une tentative infructueuse n’est alors pas vécue comme un échec et les jeunes enfants font preuve d’une grande ténacité pour essayer encore et encore jusqu’à réussir. Les situations auto-validantes permettent de conserver cette dynamique dans laquelle on reconnaitra l’idée d’apprentissage par adaptation chère à Piaget à laquelle nous sommes attachés.
Y.T. : Certains matériels traditionnels ont déjà cette caractéristique, par exemple les puzzles à encastrer ou les boites à trous bien conçues. Nous avons essayé d’introduire cette caractéristique dans l’apprentissage de notions où elle n’est pas présente habituellement.
Dans la situation « la carte retournée 1 », la tâche de l’élève est proche de celle qu’on peut lui confier avec une boite à compter : il observe une constellation et doit prendre autant de pions qu’il y a de ronds dans la constellation. Dans notre proposition, l’enfant pose ensuite ses jetons sur la carte et voit immédiatement s’il a pris la bonne quantité. Il peut alors refaire un ou plusieurs essais jusqu’à réussir.
Le caractère auto-validant enrichit et facilite aussi les interventions de l’enseignant : n’ayant plus à dire à chacun s’il a réussi ou non il a plus de temps pour des tâches plus utiles : encourager Paul qui est moins persévérant que ses camarades, proposer à Louisa une procédure pour réussir une carte qui la laisse perplexe, demander à Aïcha si elle peut expliquer comment elle fait pour réussir des cartes avec beaucoup de points, suggérer à Ali de prendre le temps de bien observer la carte avant de prendre les pions…
Les situations proposées sont destinées à être répétées à de nombreuses reprises. Quel est l'intérêt pour les élèves ?
Y. T. :« à de nombreuses reprises » est une indication volontairement assez floue mais il est certain que proposer une situation une ou deux fois seulement ne peut être utile qu’aux élèves les plus rapides. Pour d’autres la première séance sert surtout à comprendre la règle du jeu et le but à atteindre. C’est seulement quand on a bien compris le but qu’on commence à faire des maths : essayer, se tromper, réessayer, améliorer ses procédures jusqu’à la réussite. Pour reprendre l’exemple proposé par Magali, imaginerait-on de limiter le nombre de séances pour apprendre à se mettre debout ?
M. H. : Par ailleurs beaucoup de situations sont évolutives et faciles à adapter aux possibilités de chaque élève : dans « la carte retournée 1 » l’enseignant peut augmenter progressivement les quantités pour que la tâche reste difficile mais possible. La situation conserve ainsi un caractère de défi stimulant et reste utile pour les apprentissages pendant une longue durée.
Les situations sont simples à mettre en œuvre, avec du matériel peu couteux, et pourtant elles ne sont pas simplistes.. Comment avez-vous créé/imaginé toutes ces activités ?
Y.T. : La question de la validation a souvent été un point de départ. Comment peut-on reconnaître un triangle quand on ne sait pas encore ce qu’est un sommet ni un côté ? J’ai envisagé deux possibilités : le triangle est un polygone indéformable (c’est pour ça que dans les charpentes il y a des triangles), c’est aussi une figure fermée qu’on peut cacher complètement avec trois bandes minces. Chacune de ses approches a donné une situation.
Vous apportez un grand soin à préciser les prises de paroles de l'enseignant, que ce soit pour formuler les consignes ou les savoirs mis en jeu... Pourquoi ?
M.H. : C’est lié à notre expérience de formateurs. Je suis très sensible à la difficulté qu’ont les stagiaires à formuler clairement pour leurs élèves ce qu’ils ont appris ou à fournir des indications efficaces aidant à réussir sans tuer le problème. En effet, s’adapter à des situations ne suffit pas pour apprendre, des interventions de l’enseignant sont nécessaires pour réguler l’activité de l’élève ou pour désigner les savoirs rencontrés dans la situation, mais en maternelle les savoirs ne sont pas si faciles à identifier et à formuler.
Y.T. : C’est une des améliorations majeures des livres par rapport au site, dans lequel ces indications ne sont pas systématiques. De mon côté, j’avais constaté que mes stagiaires avaient beaucoup de mal à mettre les élèves rapidement en action : ils se perdaient généralement dans de longs développements parfois intéressants mais incompréhensibles pour les élèves avant d’avoir vécu la situation.
M.H. : Il est possible que pour des enseignants expérimentés ces indications soient trop détaillées. Par ailleurs nous avons découvert depuis la publication du premier volume une dérive induite par notre description détaillée de la présentation : comme cette présentation occupe une place importante dans l’ouvrage, quelques enseignants débutants confondent la situation et sa présentation, ils estiment que le travail est terminé quand les enfants ont compris la règle du jeu alors qu’il ne fait que commencer. C’est pourquoi nous encourageons vivement les enseignants à lire l’introduction du livre, qui aide à comprendre l’esprit des situations.
Le CD propose également des calculines. De quoi s'agit-il ?
Y.T. : Il s’agit de chansons permettant de répéter des faits mathématiques de façon amusante pour aider à leur mémorisation. Par exemple, pour la fin de la GS on dit dans « l’omelette » que dix-huit œufs c’est dix œufs et encore huit œufs… ce qui mérite d’être explicité. L’intérêt de la forme chantée est qu’on peut répéter de nombreuses fois sans ennuyer personne : ceux qui n’ont pas encore mémorisé ne sont pas désignés comme étant en difficulté et ceux qui savent déjà participent pour le seul plaisir du chant collectif… ce qui n’est pas si mal. Je profite de cette question pour remercier les musiciens qui ont orchestré et interprété mes petites chansonnettes : leur travail rend l’écoute très agréable et donne vraiment envie de chanter.
Un mot à ajouter pour conclure cette interview ?
Y.T. : Un regret : Il n’était pas possible de publier deux fois la même situation. Pour cette raison certaines situations proposées pour les MS sont absentes du second volume alors qu’elles y seraient très pertinentes, Je pense par exemple à « la boite en fer » ou aux « suites de points à reproduire ».
« Maths à grands pas pour les GS », 37,90 € (avec CD-Rom), chez Retz.
1Yves Thomas, ancien formateur en mathématiques à l'ESPE de Nantes et auteur du site primaths.fr
2Professeure des universités en sciences de l'éducation, formatrice à l'ESPE de Nantes.