Avec ses menus, ses énigmes et son concours, cet ouvrage ressemble à tout... sauf à un livre de maths ! Et pourtant, il est une invitation à coopérer et à se triturer les méninges à travers des SRM 1 explorant calculs, géométrie, mesures, espace et algorithmie. Rencontre avec son auteur, Laurent Giauffret
Vous présentez ce livre non pas comme un livre justement, mais comme un projet. Avez-vous eu l'occasion de le déployer tel quel dans les écoles ?
Pendant deux années consécutives, le dispositif « A2M » (pour « Au Menu … Mathématiques ») a été testé dans des classes de différents horizons (REP+, REP, hors REP). Proposées sous forme de défis, les situations de recherches mathématiques (SRM) couvrent les cinq grands domaines mathématiques (calculs, mesures, géométrie, espace et algorithmie). Les situations sont progressives (les énigmes de la fin du rallye sont plus complexes que les énigmes du début) et programmées de manière spiralaire (les mêmes compétences sont convoquées plusieurs fois dans l’année).
Pour être exhaustif, le projet s’articule autour de quatre objectifs communs : le premier, la consolidation des savoirs mathématiques fondamentaux (ce sont de vraies mathématiques qui sont menées et conformes aux programmes scolaires officiels), le second, l’émergence d’une posture réflexive (en plus de compétences disciplinaires, les élèves se construisent un habitus réflexif au fil des énigmes résolues), le troisième, la mise en avant des valeurs du travail en équipe (les énigmes ont été calibrées de façon à ce qu’un élève ne puisse pas les résoudre seul dans un temps imparti et configurées de façon à donner l’occasion aux élèves non scolaires d’entrer véritablement dans les Mathématiques) et le quatrième, l’envie de découvrir par et pour eux-mêmes (autonomie, esprit d’initiative et créativité sont très présentes puisque les enfants sont invités à créer leurs propres énigmes … et à les mutualiser).
Ce projet peut tout à fait être mené de manière filée sur une année scolaire entière. Fortement modulable, il peut trouver sa place au sein d’autres projets pédagogiques, peut être programmé en cours d’année scolaire et être utilisé de manière partielle sur un domaine mathématique jugé déficitaire par l’enseignant(e).
Un leitmotiv pour le projet « Au menu … Mathématiques !!! » pourrait être : « Faire en sorte que les élèves se sentent bien dans leurs baskets … mathématiques. »
Votre ouvrage a ceci de particulier qu'il invite les élèves à créer eux-mêmes leur rallye ? Comment cela se passe-t-il concrètement ?
La finalité des énigmes est claire : la résolution par la classe d’un concours composé de cinq énigmes assez conséquentes et couvrant chacun des grands domaines mathématiques en fin d’année. En fin d’année donc, la classe devra résoudre en un temps limité un corpus de cinq énigmes. Pour être en capacité de relever ce défi collégial, il est proposé à la classe de s’entrainer tout au long de l’année …
Les groupes de recherche sont très vite mis à contribution. Cela débute par le choix des énigmes à résoudre. En effet, au sein du dispositif pédagogique « A2M », les élèves sont invités quinze fois dans l’année (5 domaines mathématiques x 3 périodes scolaires) à choisir, parmi un corpus de quatre énigmes, au moins deux énigmes à résoudre. Ils lisent les quatre énigmes proposées et en sélectionnent au moins deux. Ensuite, les énigmes étant systématiquement déclinées en trois niveaux de compétence, les élèves sont invités à résoudre un, deux ou trois SRM. Enfin, les situations proposées étant majoritairement auto-validantes, cela veut dire que les élèves, une fois lancés dans la résolution de problèmes, continuent à cherche tant que la validation n’est pas effective.
En effet, et il s’agit d’un aspect fondamental, la résolution des énigmes est complexe mais la vérification simple : savoir si on a réussi ou pas est à portée des groupes de recherche. La validation est évidente puisque les élèves connaissent le résultat. Ce sont les chemins qui conduisent au résultat qui sont à construire.
"Menus", "réserves", "concours"... Votre ouvrage a l'air de tout... sauf d'un ouvrage de maths ?
Désacraliser les Mathématiques, montrer que les Mathématiques se révèlent être un langage universel utilisé par des milliards d’enfants à travers le monde et ce malgré des langues maternelles différentes…
Les Mathématiques constituent aussi un formidable outil de compréhension de notre environnement humain … Il suffit parfois de prendre du temps pour comptabiliser avec les élèves au sein d’une pièce (quelle qu’elle soit) le nombre d’angles droits. Au sein d’une classe par exemple, faire observer les dalles rectangulaires du sol, celles du plafond, des fenêtres rectangulaires, du tableau de la classe, du mobilier, des cahiers … l’angle droit y apparait mille fois. Ceci peut faire prendre conscience aux élèves que la géométrie se situe au cœur de l’activité humaine depuis des millénaires, que le fichu bout de plastique nommé « équerre » (au fond du cartable et en piteux état) est peut-être finalement important …
Cet ouvrage invite à entrer dans ce langage universel constitué de repérages de régularités, d’égalités, … Le domaine « Algorithmie » permet une focalisation sur cet aspect fondamental des Mathématiques. Le projet pédagogique se trouve en adéquation avec certains des grands principes proposés par le rapport Villani-Torossian.
Le rôle de l’enseignant(e) est ici fondamental (je ne le répèterai jamais assez). Il/Elle doit dévoluer le projet pédagogique à la classe de façon à ce que tous les groupes de recherche se l’approprient véritablement. La proposition d’une déclinaison sous forme d’un « menu » (comme dans un restaurant), composé d’entrées, de plats et de desserts mathématiques, constitue un levier/embrayeur pédagogique susceptible d’entrainer l’ensemble de la classe dans cette aventure : : « Qu’est-ce que je vous offre aujourd’hui comme entrées, plats ou desserts … mathématiques ? ». L’enseignant(e) peut alors revêtir d’autres habits … Il/Elle est libre de théâtraliser librement ces moments mathématiques ludiques et novateurs.
Vous souhaitez faire émerger une "posture réflexive". Pouvez-vous nous dire comment ce choix pédagogique se traduit dans les énigmes ?
Les énigmes proposées dans le menu, dans la réserve et dans le concours sont en nombre conséquent : plus de 100 énigmes différentes déclinées en trois niveaux … soit plus de 300 SRM sont à la disposition des enseignant(e)s.
Les SRM tendent à posséder des caractéristiques communes : une kyrielle de stratégies de résolution possibles pour atteindre le résultat, plusieurs solutions (toutes justes) possibles et un fort aspect auto-validant.
Le caractère ouvert des SRM permet aux enseignant(e)s de viser pour certains groupes de recherche une certaine exhaustivité (à la fois dans les solutions justes et dans les stratégies pour y parvenir). Il s’agit là d’une possibilité de différentiation forte au sein de la classe.
Je vais prendre un exemple de la vie courante afin d’illustrer mes propos. Face à un feu tricolore, vous avez deux attitudes pédagogiques :
- a/ soit expliquer directement le fonctionnement répétitif du feu tricolore – vous énoncez une règle générale et les élèves appliquent cette règle,
- b/ soit vous faites observer le fonctionnement du feu tricolore et vous demandez aux élèves d’en induire une règle générale : le fait qu’aux feux « oranges », les véhicules ralentissent, qu’aux feux « rouges », les véhicules stoppent et qu’ils redémarrent aux feux « verts ». Ceci nécessite l’observation de plusieurs séries de savoirs factuels afin d’en tirer un savoir notionnel (valable pour une grande partie des feux tricolores). Pour cela les élèves doivent être habitués à observer de manière réfléchie des phénomènes et d’en extraire des régularités. Les élèves ne possèdent pas une telle habitude, mais ceci est à portée et se révèle très bénéfique à long terme.
Le projet pédagogique « A2M » ouvre cette voie (Il s’agit d’un autre apport spécifique), notamment dans le domaine « Algorithmie », où les groupes de recherche sont invités à repérer certaines régularités sur des suites et d’établir des prévisions. Ainsi, la résolution filée tout au long de l’année de nombreuses SRM permet de construire chez les élèves un certain habitus réflexif …
Enfin, il est à noter que cet habitus réflexif peut tout à fait rejaillir sur les autres grandes disciplines scolaires.
Combien de temps faut-il prévoir pour la mise en place d'un rallye ?
Le temps imparti pourrait être estimé à environ 30 minutes par défi, soit 1 heure pour deux défis dans une semaine (de préférence non consécutives car certains élèves éprouveraient une certaine fatigue et il ne faut pas oublier les autres activités pédagogiques durant le restant de la journée). Vingt séances d’entrainement (donc vingt semaines) sont nécessaires pour mener à bien le projet sur une année dernière. Il s’agit d’un minimum car, pour les classes volontaires, il est possible de mener 45 séances avec le matériel proposé en menus, réserve et concours.
Une déclinaison en moments institutionnels et en temps moins institutionnels (au cours desquels les élèves peuvent être libres de revenir sur leurs travaux) peut être envisagée. Si une énigme n’est pas résolue dans le temps imparti, sa résolution reste au niveau de la quête lors des moments institutionnels et elle sera finalisé lors des temps moins institutionnels.
Pour un enseignant, mettre en place le dispositif A2M, c'est aussi apprendre à s'effacer. Quels en sont les bénéfices ?
Confronter les élèves directement aux savoirs, c’est s’intéresser plus à l’enfant qu’à l’élève (si on définit l’élève comme n’apprenant qu’en présence d’un adulte pendant le temps scolaire). En d’autres termes, la posture réflexive permet à l’enfant d’être plus ouvert vis-à-vis du monde qui l’entoure sans présence nécessairement d’un adulte.
Les SRM conduisant les groupes de recherche à une certaine autonomie, l’enseignant(e) va disposer de temps pédagogique afin d’observer les groupes de recherche en action. Il va falloir certes gérer certaines frustrations, accompagner un groupe afin qu’il remette en cause ses premières recherches, .... mais du véritable temps pédagogique va se dégager et ouvrir des fenêtres d’observation à l’intérieur des groupes de recherche et entre les groupes de recherche. Il n’est pas possible de formaliser puisque les situations de classe sont tout à la fois multiples … et uniques.
Les bénéfices pédagogiques sont explicités dans l’ouvrage. Il est possible de citer des compétences mathématiques renforcées, une autonomie des élèves accrue et un esprit d’initiative plus présent.
Pour cela, des aides pédagogiques destinées à faciliter la mise en œuvre dans la classe d’A2M sont également proposées : a/ le fait de ne distribuer qu’un support par groupe (ce qui oblige la collaboration) ou b/ de considérer le groupe (hétérogène ou pas) de recherche comme indifférencié : tout élève du groupe représente alors le groupe en son entier. Ainsi, dès le début, l’enseignant(e) indique qu’il/elle est susceptible d’interroger n’importe quand, n’importe quel élève du groupe de recherche. Il précise aussi que la parole de l’élève interrogé « au hasard » engage le groupe en son entier. Les enfants perçoivent alors, peu à peu (ceci prend un certain temps) que l’essentiel est maintenant que tout le monde comprenne (et plus seulement certains membres du groupe).
Une fois la situation de recherche offerte aux groupes de recherche, le rôle de l’enseignant(e) évolue. Les élèves sont confrontés véritablement aux savoirs. Les SRM proposées sont auto-validantes ce qui fait que l’enseignant(e) peut se focaliser sur une question essentielle : « Comment être le/la plus utile lorsqu’un groupe de recherche est à la manœuvre ? »
Ce qui est peu habituel, c'est que, parfois, plusieurs réponses sont valables... Pouvez-vous nous dire un mot sur ce choix ?
A une question peut exister plusieurs réponses … toutes justes. Ceci est très peu le cas en milieu scolaire. En effet, les rituels scolaires, tels « Quel est le pluriel du mot « crayon » ? « crayons » ; « Quel est le pluriel du mot « stylo » ? « stylos », conduisent à un certain formalisme routinier : « à une question ne correspond qu’une seule réponse juste. » Or, cette routine génère des blocages. En effet, par exemple en mesures, une même grandeur de 1m peut également s’écrire 10 dm, 100 cm ou 1 000 mm … Ceci constitue des réponses toutes justes. Pour contrer cet obstacle pédagogique, certaines SRM sont proposées comme :
Le projet pédagogique offre une vision renouvelée des Mathématiques. Ce sont les enfants plus que les élèves qui se trouvent au cœur du dispositif pédagogique. Offrir aux enfants une certaine posture réflexive, c’est leur permettre de dépasser les simples effets apparents du monde qui les entoure.
En effet, les savoirs complexes, les savoirs conceptuels, sont hautement personnels. Chaque enfant les construit à son rythme et suivant des modalités qui lui sont propres. Il n’est pas possible d’enseigner un savoir conceptuel, il est juste possible de poser des jalons de sorte que les élèves cheminent vers ce savoir conceptuel (de numération ou de géométrie par exemple). Cette construction mentale hautement personnelle se trouve améliorée si l’enfant dispose d’un certain habitus réflexif. Ainsi, un des plus grands acquis du dispositif « A2M » (je me permets de le répéter tout en précisant qu’il ne s’agit pas de l’unique dispositif) serait qu’un enfant intériorise peu à peu : « Plus je réfléchis, plus je réussis … ».
La construction de savoirs complexes peut se faire avec les autres. J’aime beaucoup cette image : « Si tu as 1 euro et que j’ai 1 euro, alors nous avons 1 euro chacun. Par contre, si tu as une idée et que j’ai une idée, alors nous avons chacun deux idées. » Il importe qu’un(e) enseignant(e) offre de multiples situations où le groupe revêt une grande importance. Les SRM proposées nécessitent souvent une collaboration entre les élèves afin d’être résolues dans leur exhaustivité.
Tout au long des énigmes, les essais réalisés ressemblent plus à des tentatives qu’à des erreurs ou des fautes … « On a tenté … et on retentera … » En tout état de cause, l’important réside dans le foisonnement de tâtonnements réfléchis mis en œuvre par chacun des groupes de recherche. Les moments d’échange peuvent être consacrés à ce
que les groupes de recherche explicitent les stratégies mises en œuvre (justes ou fausses peu importe). Une nouvelle piste pédagogique est également ouverte en promouvant la constitution d’un répertoire collégial d’hypothèses. Pourquoi ne pas faire mutualiser les idées avant que les groupes ne s’engagent véritablement dans leurs recherches ? Ceci évite que certains groupes restent inertes sans aucune idée. Cet aspect est explicité dans l’ouvrage.
Enfin, il existe un fort lien entre la manipulation, la représentation et l’abstraction. Le matériel peut être (ou pas) omniprésent sous la forme de jetons, de cubes colorés, d’anneaux, de formes … Il peut être utilisé (ou pas) soit en cours de recherches afin de tendre vers un tâtonnement réfléchi, soit en fin de recherches en guise de validation. Il s’agit d’un véritable choix pédagogique laissé à l’appréciation de l’enseignant(e)
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