À la recherche d’une nouvelle trousse pour renouveler, à regret, celle que je traîne avec amour depuis mes années lycée, je parcours mon second rayon préféré après celui de mon libraire. Là, une mère et son fils : « Tu vas pas me prendre la tête avec ton classeur ! » crache la douce voix de la première. « Bouge ta graisse, j’ te dis ! » Sa grâce ? Non, sa graisse, héritée au 1/10e. C’est celui qui le dit qui y est…
J’hésite. Mon crayon, je l’ prends à bille, à encre ou effaçable ?
« Un jour, je vais t’assassiner, toi ! » Si, si, mon garçon, c’est bien ce qu’elle t’a dit, ta mère. Vu ta réaction, cela semble être du même registre que « Va te coucher » ou « Mange ta soupe », dans votre famille. Et toi, haut comme trois pommes, tu lui lances un regard noir. Même pas peur ! Vu tes yeux, moi, j’ te l’aurais acheté tout de suite, ton classeur… J’ose t’adresser un « Tu devrais écouter ta maman. Dépêche-toi, le magasin va bientôt fermer », me sentant aussitôt coupable de ce mauvais conseil. Mais quoi ? J’aurais dû t’encourager à résister davantage, pour voir ton fameux dernier jour arriver encore plus vite ?
Adaptation du discours
Et d’ici peu, moi, je répéterai inlassablement à mes élèves mon insatiable « Si tu n’es pas d’accord avec ce que te fait ton camarade, il faut que tu lui donnes un message clair, comme “Je n’aime pas ce que tu me fais, je ne suis pas d’accord avec ça.” » Et toi, là, il est clair, le message ? C’est ta propre mère qui propose de te faire passer de vie à trépas. J’attends qu’elle dédramatise avec un « Mais j’ rigole ! » Rien.
Je me croyais rodée à ces situations. Comme le jour où, en ULIS, mon élève avait souhaité partager son week-end lors du « Quoi de neuf ? » hebdomadaire. Son père s’était disputé avec son collègue, lui avait donné un coup de pelle sur la tête, il était tombé raide mort dans le trou qu’ils venaient de creuser. Ils travaillaient dans un cimetière ! Du producteur au consommateur, déjà les filières courtes à l’époque… Et après ça, on avait dû réviser la multiplication ! De l’art de la transition. À croire qu’on ne s’y fait jamais.
Tu ressors du rayon, un sourire affichant toutes les dents que tu n’as pas données à la petite souris, ton classeur et tout un tas d’autres fournitures dans les bras. Allez, bonne rentrée quand même !