Devenir à la fois père et maître (à l’âge de 20 ans) : telle est l’expérience fondatrice qui, après de longues années en REP et une césure professionnelle, a amené Baptiste Labrune à écrire ce « témoignage-manifeste ». Avec sa plume vive et réaliste, il nous amène à réfléchir à l’école, à la violence institutionnelle ou encore à la place des parents dans le parcours des élèves.
Comment est né ce désir d'écrire un livre ?
Le désir d’écrire ce livre nait environ un an après avoir cessé d’enseigner – le temps pour moi de reprendre mes esprits alors que je viens de passer de longues années en REP+, de prendre un peu de recul sur mon vécu de prof, dans ce qu’il a eu de singulier – ma jeunesse ; mon apprentissage simultané de l’enseignement et de la parentalité (je suis devenu père et maitre à l’âge de vingt ans) – et d’universel. La dimension exemplaire de mon parcours, j’en ai pris conscience au travers de mes lectures, mais surtout de mes rencontres - avec mon éditrice, notamment : en ayant l’occasion de faire un « pas de côté » de l’Éducation nationale, en échangeant avec des gens d’autres horizons, j’ai réalisé que le monde de l’enseignement était non seulement largement méconnu du grand public, mais aussi que cette ignorance alimentait la défiance des parents envers l’institution. Il y avait là deux raisons de prendre la plume : actualiser la représentation de l’école et, plus généralement, de l’éducation dans le débat public ; et réconcilier notre société avec ses enseignants.
Quel a été votre processus d’écriture ?
J’ai commencé en mars 2018 à prendre des notes, à faire des recherches en vue d’écrire ce livre. L’écriture effective, avec ses multiples revirements et révolutions, ses découragements et ses élans successifs ne s’est amorcée qu’en juin 2019 – plus d’un an plus tard – pour s’achever en mai 2020. La difficulté de ce projet est qu’il m’a fallu tenir un équilibre entre une exigence « scientifique » et un souci « littéraire ». Je souhaitais rendre compte des débats qui agitent actuellement l’école pour y faire entendre ma propre position, en incluant les dernières données pédagogiques, didactiques, sociologiques, linguistiques, neurocoginitives, psychologiques, politiques, etc. - et dans le même temps livrer un récit vivant de mon double apprentissage de maître et de père. Mon texte est donc à mi-chemin du récit de formation et de l’essai : c’est un témoignage-manifeste.A qui ce récit s’adresse-t-il ?
En fait, mon souhait était de partager mon expérience des « deux côtés de la barrière » pour m’adresser tout à la fois aux parents et aux enseignants, aux déjà spécialistes de l’école et aux simples acteurs quotidiens de l’éducation, avec un objectif avoué : apaiser le dialogue et inviter chacun à retrouver le sens de l’institution scolaire comme projet politique de vivre-ensemble.Sur le fond, c’est un récit croisé : celui d’un père (et du parcours scolaire de sa fille) et d’un maître. D’où vient cette idée d’enchevêtrement ?
J’ai tâché d’articuler une réflexion générale sur l’éducation en entremêlant mes expériences de père et de maître, tout en distinguant très vite ces deux rôles que j’ai dû apprendre simultanément. Je m’efforce d’esquisser une ligne commune aux missions parentale et magistrale, que je ne conçois pas l’une sans l’autre, de mettre au jour leur nécessaire complémentarité. L’autonomisation des enfants, par exemple, est aujourd’hui un enjeu majeur de « l’éduquant », qu’il soit parent ou professeur – même si les implications pratiques de cette question diffèrent entre l’école et le foyer. Ma conviction est que l’éducation ne peut être une affaire privée, elle ne peut se satisfaire de l’entre-soi ou des certitudes des spécialistes : c’est une problématique publique qui fonde notre façon de « faire société ». Je ne crois ni aux projets d’optimisation individuelle des enfants, ni aux fantasmes de « restauration » de l’autorité verticale : sans école, il n’est pas de projet éducatif valable, mais sans les parents, sans les familles et leur diversité, l’école n’est rien.Quelles seraient vos influences littéraires ?
J’ai placé en épigraphe de mon livre une citation extraite du Baron perché d’Italo Calvino parce que cet auteur, au même titre que Perec, Queneau, Prévert, Vian ou Michaux que je cite également dans mon livre, est un joueur : il fait le choix de l’humour et de la légèreté pour dire parfois ce qu’il y a de plus grave. Mais on retrouve le même refus d’opposer tragédie et comédie chez Cervantes, Swift, ou Musil et jusqu’à aujourd’hui chez Pennac, Larcenet, Grumberg, Ungerer, Ponti et tant d’autres. Pourtant, j’ai dû assumer également dans mon livre un héritage moins littéraire et plus « scientifique », puisque s’y mêlent aussi des considérations philosophiques, historiques, linguistiques, sociologiques, psychologiques et linguistiques. Mais quelque part, cette multiplicité est à mon image, à l’image de mon propre parcours de lecteur et d’auteur – qui n’est pas linéaire, mais s’est plutôt construit « en réseau », sans se soucier des frontières de genres et de disciplines.Vous vous étiez promis de ne plus enseigner, et pourtant, « vous avez replongé »… ? Comment passer de l’une à l’autre des positions ? Qu’est ce qui a changé ?
Je ne me suis jamais promis de ne plus enseigner – auquel cas j’aurais démissionné. Comme je le dis dans l’introduction de mon livre, j’ai quitté un métier que j’aimais, avec ses joies et ses revers. Je l’ai quitté parce qu’à un moment donné, la fatigue et le découragement face à la violence – notamment de l’institution - ont pris le dessus sur l’envie de transmettre. Il m’a fallu du temps, plus de deux ans, pour dépasser mon sentiment d’échec et de frustration – une première étape avant de décider de replonger.Ces 2 années de césure, elles vous ont fait du bien… ?
Le « pas de côté » que m’ont permis les trois années de disponibilité a été décisif : en lisant, en écrivant, en parlant avec d’autres parents et avec mes anciens collègues, je me suis peu à peu rendu compte qu’enseigner me manquait terriblement : j’ai pu prendre du recul sur plus de dix ans d’éducation, comme père et comme maître, mettre au clair mes doutes et mes espoirs. Aujourd’hui, alors que je suis à nouveau maitre en réseau d’éducation prioritaire, l’institution n’a pas beaucoup changé - la situation de crise sanitaire et économique rend peut-être même les choses plus difficiles. Mais moi, j’ai changé : j’ai retrouvé la force de travailler chaque jour au service d’une école ouverte et exigeante malgré ses imperfections, et j’ai gagné une conviction : il est urgent d’œuvrer, par le dialogue, à la réconciliation éducative.