Les résultats du mouvement sont tombés : vous savez désormais où vous atterrirez à la rentrée prochaine ! Comment allez-vous construire votre emploi du temps ? Quelle posture allez-vous adopter ? Pour répondre à ces 1000 questions que vous vous posez, 2 collègues ont imaginé un livre-compagnon…
Comment est né ce projet ?
Ce projet est né d’une proposition de Sylvain Connac, avec qui nous partageons régulièrement des formations via l’ICEM34 (groupe de collègues en recherche de pédagogies coopératives). Sa maison d’édition, ESF Sciences Humaines, voulait lancer une nouvelle collection autour de « se lancer en classe » et cherchait des enseignants de terrain pour écrire. Il nous a donc été proposé d’écrire pour les enseignants débutant en élémentaire. Le projet nous a vraiment plu car il s’agissait pour nous, de mettre par écrit tout ce que nous avions, au cours des 10 dernières années et après avoir passé le CAFIPEMF, mis en place, compris, expérimenté pour améliorer nos pratiques.
Depuis 21016, vous accompagnez les nouveaux enseignants. Quels sont leurs principaux besoins ou lacunes ?
Pour être précis, après avoir tous deux obtenu le CAFIPEMF en 2016, Nicolas a pu exercer cette mission une année, et Sarah l’exerce depuis la rentrée. Mais l’accompagnement de stagiaires ne constitue pas nos seules actions de formation : nous sommes tous deux investis dans les actions de l’ICEM11 et ICEM34, des collègues avec qui nous participons à des rencontres pédagogiques régulières, des stages à destination d’enseignants de tous horizons, tous âges, tous cycles. C’est aussi et sans doute surtout grâce à ces temps de rencontres que nous avons pu nous ouvrir à des horizons pédagogiques variés d’une part, des possibles de formation, co-formation et auto-formation d’autre part.
Pour répondre sur la question des besoins identifiés, il nous apparait que ce métier demande un investissement énorme, tout d’abord. Et finalement, il semblerait qu’un obstacle possible pour une personne qui débute serait de ne pas avoir pris en considération l’ampleur de la tâche et de l’investissement nécessaire pour construire une classe. Un autre obstacle serait la relation d’autorité à établir avec les enfants et surtout la confrontation à des émotions parfois difficiles à vivre face à certaines situations que l’on peut rencontrer dans ce métier : non écoute, confrontation, violence.
Mais nous avons souvent été plutôt impressionnés par le travail des enseignants débutants que nous accompagnons. Les besoins peuvent différer selon les personnes. D’une manière générale, l’accompagnement que nous proposons pourrait se résumer à viser les 4 objectifs suivants :
- passer d’une préparation « détaillée » à une vision plus globale de la classe et des besoins des élèves
- donner du sens à ce qui est enseigné : projets, métacognition, acquisition d’une culture
- apprendre à apprendre, ne pas tomber dans l’écueil d’un enseignement qui considèrerait qu’il suffit de dire aux élèves d’apprendre (à la maison) pour qu’ils apprennent : comment apprendre, comment être attentif, comment travailler sa mémorisation, tout cela peut (devrait ?...) se travailler en classe
- construire une autorité éducative en recherchant une cohérence, une clarté pour soi et pour ses élèves.
Comment avez-vous construit et structuré votre ouvrage ?
Les chapitres 1, 2 et 3 sont consacrés à la préparation de la rentrée, avant le jour J, dans ce qui nous a semblé un ordre logique (celui dans lequel nous préparons nos propres rentrées, en fait) :
- penser l’espace et le matériel (évacuer à l’avance la gestion administrative qui arrivera de toutes façons)
- penser les contenus (programmations, rituels, projets…)
- penser le temps (emploi du temps, cahier-journal, astuces du quotidien...)
Les chapitres 4, 5, 6 sont consacrés à la rentrée elle-même. Qui peut durer jusqu’aux vacances de Toussaint dans notre esprit, le temps de bien installer ce que l’on veut de manière tranquille. On y parle de poser des bases, de penser à l’avance comment l’on veut voir telle ou telle chose se réaliser ou pas, et comment mettre en place les dispositifs et les organisations qui vont pouvoir faire émerger nos souhaits (ou pas) :
- que veut-on comme relations avec les parents, que veut-on pour les devoirs, comment veut-on que se déroule ce jour si important de « la rentrée » ?
- quel type d’autorité ai-je envie d’exercer, et comment la faire s’installer, quel cadre de règles et de sanctions vais-je mettre en place ?
- quel cadre de travail vais-je pouvoir mettre en place dès le début de l’année ?
Au bout de plusieurs essais de plans, nous avons opté pour un déroulé qui puisse se lire de manière linéaire, mais aussi en allant piocher des thèmes selon les besoins qui émergeront au fur et à mesure de l’année. Un souhait de notre éditrice (qui nous a beaucoup aidés dans les orientations à privilégier, tant le sujet est vaste!) était que ce livre puisse servir de « compagnon » pour les collègues en début de carrière : une aide à la préparation certes, un accompagnement pour la rentrée bien sûr, mais aussi une présence rassurante tout au long de l’année. Pouvoir revenir sur un chapitre au mois d’avril, pour prendre du recul, et peut-être se dire : « là, je me sens en difficulté sur l’autorité dans ma classe (exemple pris totalement au hasard...), qu’est-ce que je peux faire pour corriger le tir dans l’immédiat, et surtout qu’est-ce que je pourrai faire l’an prochain pour ne pas me retrouver dans cette situation ? ».
C’est surtout un travail personnel de lecture que nous avons tenté d’offrir, dans lequel nous avons souhaité tout d’abord faire s’interroger chacun et chacune sur ses propres pratiques, pour se retrouver au final en capacité de faire des choix personnels, en toute conscience. Pour chaque thème, nous avons tenté d’amener :
- des questions pratiques que l’on se pose quand on a une classe à gérer
- ce que disent les textes officiels (en croisant les sources : on ne se base pas uniquement sur les programmes)
- des outils, des dispositifs testés et qui ont fonctionné (ou pas, mais l’erreur est toujours intéressante à analyser)
- des apports de la Recherche, pour que chacun puisse vérifier et creuser nos sources : d’où est-ce que l’on parle, d’où vient telle ou telle idée, pourquoi est-ce que nous l’avons retenue (ou pas), etc.
Parfois, il y a contradiction entre ces différentes sources, mais c’est justement cela qui est intéressant : faire du tri, et faire des choix personnels de pratique enseignante. Ne pas reproduire des schémas « parce que c’est comme ça que j’ai toujours vu une classe ». Non : il existe autre chose, et l’école que les enseignants d’aujourd’hui ont vécu n’est fatalement pas la même que celle d’aujourd’hui, il y a au moins 20 ans d’écart ! Il semblerait que l’on se doive donc, en tant qu’enseignants, de toujours se mettre à jour et se remettre en question (s)...
L’ouvrage est truffé de références, y compris contemporaines (Houdé, Connac…). C’est important pour vous de faire le lien entre la recherche et le terrain ?
Ce lien entre la « théorie » et la « pratique » est primordial, en effet, car c’est ce qui correspond à la réalité de la classe, de la préparation à la gestion. Comme expliqué plus haut, ce que nous avons cherché à faire dans ce livre, c’est inviter les collègues à se poser des questions sur différents aspects du métier. Face à ces questionnements, le but premier du livre est que chacun et chacune apporte déjà ses propres solutions, dans un premier temps. Nous apportons ensuite deux types d’éclairages :
- des outils et dispositifs
- des apports de la Recherche, qui éclairent chaque sujet.
Il n’était pas question de rester cantonnés à notre seule expérience : nous nous appuyons sans cesse, pour chaque sujet, sur ce que d’autres collègues ont découvert, établi, par des recherches publiées. Quitte à croiser les regards, c’est toujours intéressant.
Encore une fois, cet ouvrage ressemble aussi à notre manière de pratiquer le métier enseignant : tout ce que nous proposons à nos élèves (dans la mesure du possible, du pertinent, et de nos connaissances) est appuyé par des travaux de chercheurs et chercheuses. Car ce sont eux qui nous aident à ne jamais nous contenter du minimum, de ce qui peut fonctionner plus ou moins. Grâce à la Recherche, nous pouvons pousser des sujets au mieux pour nos élèves. Connac est spécialiste de la coopération à l’école et du travail personnalisé : nous y piochons. Houdé et Berthier sont des pointures en matière de neurosciences : nous prenons, nous adaptons ! Goigoux est un as de l’analyse de pratique, sciences cognitives et lecture de classe : outils indispensables pour se perfectionner ! Le modèle des postures de Bucheton et les travaux de Favre sur le stress et les motivations ont révolutionné notre pratique : nous les présentons aux élèves ! Lachaux a vulgarisé des méthodes pour travailler l’attention et la mémorisation avec les élèves : nous intégrons en classe ! Robbes est une référence en matière d’autorité à l’école : nous nous appuyons sur ses modèles ! Etc, etc (difficile de tous les citer, pardon !...).
La Recherche sans application en classe reste vaine : uniquement théorique, invérifiable. Et à l’inverse, appliquer dans nos classes ce que nous apprenons des chercheurs nous permet peu à peu de mieux comprendre les besoins de nos élèves, notamment des élèves à besoins spécifiques, de construire des outils qui semblent de plus en plus performants dans nos classes. Donc : le plus de liens l’on crée entre ces deux entités, le mieux chaque métier peut s’épanouir ! Cela dit, lire tous ces ouvrages, c’est long, et parfois fastidieux ! Ce que nous avons essayé d’offrir aux lectrices et lecteurs, c’est une sorte de condensé de ce que disent la Recherche et les textes officiels sur un large panel de sujets directement utiles au professeur débutant (ou plus avancé, d’ailleurs, nous avons vu que cela fonctionnait aussi). Libre à chacun d’aller creuser tel ou tel sujet, tel ou tel auteur, mais en tous cas, avec notre ouvrage, on peut déjà découvrir des bases théoriques intéressantes pour approcher toutes ces idées. Et pourquoi pas d’être en mesure de justifier de tel ou tel choix pédagogique, de se forger sa propre professionnalité.
Il y a un chapitre complet intitulé « Prendre le temps de poser les bases ». Est-ce que vous pouvez en dire un mot ?
Il est important, ce chapitre (comme tous les autres, bien sûr ‘’,). L’idée principale de cette partie (et peut-être celle du livre entier, à bien y regarder), c’est de penser l’année scolaire sur le long terme : il semblerait bénéfique et pertinent de se donner le temps de poser des bases de travail et de discipline qui, une fois installées, seront utiles pendant tout le reste de l’année. En quelque sorte, on investit du temps et de l’énergie en début d’année, pour recueillir des fruits de sérénité plus tard. Et à chaque fois, on explicite : « là on s’arrête » ou « là, on va prendre du temps, parce que c’est nécessaire : nous allons installer maintenant quelque chose qui va nous servir toute l’année, donc ce n’est pas grave si on passe du temps dessus. ».
Premier exemple : prendre le temps d’installer des rituels dès le premier jour. 30 minutes pour présenter, expliquer, faire et faire faire un rituel qui, au bout de la deuxième semaine, ne durera que 10 minutes. On peut donc en lancer un autre, tout aussi tranquillement. En se projetant sur les premières semaines (la première période, même), on peut se dire qu’on a joué coup-triple :
- du travail proposé dès le début de l’année, quotidien : les enfants sont là pour travailler, après tout, et installer des rituels nous permet de préparer une fois pour plusieurs séances
- des habitudes de travail, de présentation, de calme installées dans la classe : on aura besoin de cela toute l’année
- les rituels, cela décharge de beaucoup la concentration nécessaire pour les enfants, qui peuvent donc être en réussite dès le début de l’année : pas besoin de dépenser toute son énergie cognitive pour comprendre des consignes qui changent chaque jour, il suffit de la comprendre une fois pour plusieurs séances.
Deuxième exemple : installer un climat de travail serein dès le début de l’année
Un climat serein, apaisé, c’est une condition sine-qua-non pour continuer de travailler et passer toute l’année ensemble. On gagne donc à prendre, dès le premier jour, le temps de faire des pauses à chaque entorse, pour établir peu à peu et en collaboration avec les enfants les règles qui seront en vigueur tout le reste de l’année.
Le premier jour, un enfant court dans l’escalier ? On s’arrête, on remonte calmement, et on redescend tranquillement en précisant la règle. Un enfant prend la parole de manière intempestive ? On s’arrête, on discute : qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Quelles sont les règles ? A-t-on besoin d’une règle pour cela ? Laquelle ? Pendant un temps de travail censé être silencieux, il y a du bruit ? On arrête tout, on discute : qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Etc, etc.
Nous ne souhaitons pas pour autant tomber dans la négociation permanente, et certaines règles sont inébranlables, intangibles, non-négociables, justement : les « lois », qui seraient à différencier des « règles » de fonctionnement propres à chaque classe, à chaque école. Nous proposons des pistes à adapter pour construire un règlement évolutif de classe sur le mode lois/règles et droits/devoirs.
Poser ce genre de bases dès le début de l’année, c’est saisir toutes les occasions de travailler à la co-construction du cadre avec les élèves. Cadre de travail et cadre de discipline, mais qui sont, au final, plus qu’intimement liés. C’est Sylvain Connac, encore lui, qui disait quelque chose comme « pas de travail sans cadre, mais pas de cadre possible sans travail ». Nous proposons donc de chercher, en début d’année, à poser ces deux cadres-là de front, dès le premier jour. C’est possible en se dotant d’un protocole clair, applicable, et adaptable selon l’âge de nos élèves et la situation de notre école.
Précisons tout de même que, même dans des postes de compléments, en n’étant présent qu’une journée par semaine, l’instauration de ces cadres est nécessaire (et peut-être encore plus...) : ce que fait le ou la collègue concerne ses jours de classe.
On peut s’harmoniser sur certaines règles et certains fonctionnements, bien sûr, et c’est sans doute la meilleure solution : quand deux adultes vont dans le même sens, les enfants ont moins de failles dans lesquelles s’engouffrer. Mais des fois ce n’est pas possible, ou alors ça ne fonctionne pas. Et même quand cela fonctionne, il semble qu’il faille toujours s’approprier un fonctionnement, le modifier, se l’adapter à son propre tempérament, à sa propre pratique. Conséquence : même pour un jour par semaine, on gagnerait à prendre ces temps d’installation des cadres.
En résumé sur ce point : des chaussons, c’est personnel, et si on essaye de se couler dans ceux d’un collègue, on risque d’être mal à l’aise. Mieux vaut donc enfiler ses propres chaussons pour se sentir bien dans son métier, dans sa classe, car un enseignant mal à l’aise peut-il réellement exercer son métier de manière sereine et efficace ?… C’est un peu tout le travail que nous avons essayé de produire avec cet ouvrage : proposer des pistes, des idées, des ressources, pour que chacun et chacune puisse se fabriquer ses propres « chaussons pédagogiques ».