L’aménagement des espaces est devenu ces dernières années un sujet central, pour lequel les classes de maternelle ont souvent été pionnières. 3 titres complémentaires (méthodologie, mise en œuvre, geste-clés) viennent documenter cette thématique passionnante. C. Méjean nous en dit plus sur l’un de ses ouvrages...
Comment est née l'idée de la série "Aménager les espaces" ?
Suite à la parution de la première version du livre (2015) et aux nombreuses conférences proposées partout en France, nous avons constaté que beaucoup d’enseignants voulaient en savoir plus ! Leurs questions se situaient essentiellement autour de trois points : les questions d'ordre théorique, les questions autour des gestes professionnels de l'enseignant et toutes les interrogations sur la mise en œuvre pratique. D'où la nécessité de détailler la « méthode » en 3 ouvrages !
En quoi l'aménagement des espaces permet-il de penser une "autre école maternelle" ?
Les dispositifs traditionnels procèdent d'une intention ancrée dans l'habitude, le mimétisme, la reproduction de pratiques ancestrales héritées de l'histoire maternelle : « je fais les ateliers, les regroupements, les passages collectifs aux toilettes parce que la maternelle c'est comme ça, je l'ai vu dans toutes les classes que j'ai visitées ! ». Pendant des années, les enseignants n'ont pas questionné leurs pratiques, soit par habitude, soit par ignorance. Pendant des années, l'enfant lui, n'a décidé ni de ses partenaires, ni de son activité, ni du temps qu'il voulait y consacrer. Il n'avait pas beaucoup voix au chapitre.Quant à la place du jeu, elle était sous-valorisée : « tu iras jouer quand tu auras fini ton travail ! ». Or les nouveaux savoirs sur les enfants de 3 à 5 ans construits par les spécialistes ont fait entrevoir la nécessité de repenser nos fonctionnements pour que l'école prenne en considération les besoins des enfants (physiologique, moteur, relationnel, cognitif et sensoriel). Tant que ses besoins ne sont pas respectés, l'enfant n'est pas totalement disponible pour apprendre. Le premier levier pour y parvenir concerne l'aménagement des espaces. L'enseignant pense en amont le contenu de chaque espace, l'organise et l'adapte à l'âge et aux besoins de chacun ; l'élève dispose ainsi d'un environnement de travail propice aux découvertes, aux renforcements de compétences ou encore à l'entraînement. Il a le choix de son activité, de la temporalité et la durée de sa fréquentation dans un espace, s'il veut travailler seul ou en groupe, avec ou sans l'adulte... Le volume « aménager les espaces, mise en œuvre » liste les espaces possibles à mettre en place dans les classes et donne des scénarios d'apprentissage pour chacun d'eux. Et vous verrez que le jeu fait partie intégrante de ces scénarios.
Quel est l'impact sur les apprentissages des élèves ?
Les élèves entrent dans l'activité de leur plein gré : cette disponibilité est un facteur indispensable pour une plus grande efficacité des enseignements puisque les enfants sont réellement impliqués. En effet, lorsqu’ils participent aux activités « dirigées » de façon volontaire, une fois qu'ils considèrent avoir suffisamment fréquenté les activités ou les jeux libres, ils sont moins frustrés ce qui signifie plus attentifs, plus coopératifs, plus productifs. Mais le point fort de ce dispositif est, sans aucun doute, une plus grande disponibilité des adultes pour des interactions avec chaque élève. L'enseignant, notamment, peut être au plus près des besoins intellectuels de chacun, tant pour les apprentissages du domaine concerné que pour les apprentissages langagiers et linguistiques. La relation duelle permet, par ailleurs, de valoriser ce que l'élève sait produire et de le faire progresser à chaque fois un peu plus. L'adulte n'attend pas de l'enfant qu'il se conforme aux résultats du groupe et ne compare pas ses productions à celles du groupe. Autant d'élèves, autant de niveaux : chacun produit à son niveau et chaque niveau est valorisé.
Et l'impact sur la posture de l'enseignant ?
L'adulte a une posture d'observation volontaire : en questionnant l'enfant sur ses choix (« pourquoi penses-tu que tu as fini ? Qu'est ce qui te plaît dans cette activité ? Qu'est-ce que tu trouves facile, difficile ?), il apprend aussi du cheminement des élèves qui parfois choisissent d'autres voies que celles qu’il avait imaginées. De ce fait, il ne se trouve jamais dans une posture de surétayage : il n'a pas besoin de faire à la place de l'élève pour avancer plus vite quand la nécessité l'impose. Comme je l'ai déjà dit, les adultes ont une plus grande disponibilité pour des interactions avec chaque individu. Mais pour moi l'impact le plus important c'est le lâcher prise. S'autoriser à lâcher prise pour un enseignant est loin d'être évident : la peur de perdre la main, l'autorité ou la gestion du groupe paralyse plus d'un adulte qui passe, du coup, une grande énergie à vouloir maîtriser les événements et surtout le comportement des élèves pour qu'il n'y ait aucun imprévu dans le déroulement de la journée. Dans le dispositif des espaces, quand l'enseignant s'adresse à un élève et un seul, il n'y a aucune culpabilité vis à vis des autres. L'adulte est plus serein puisque les enfants sont occupés sur les activités qu'ils ont choisies de leur plein gré. Dans le volume « aménager les espaces, les gestes clés », nous avons voulu susciter l'envie de réfléchir et d'expérimenter de nouveaux gestes professionnels pour mieux répondre aux besoins de chaque enfant et favoriser une coéducation entre différents acteurs.
Vous parlez de "libre circulation" : de quoi s'agit-il ?
C'est l'élève qui décide de son parcours : que vais je faire aujourd'hui ? Avec qui ? Est-ce que je veux continuer à m'entraîner à l'écriture, refaire mon puzzle ou relever un défi aux jeux de construction ? Est-ce que j'ai besoin de m'isoler un peu parce que je me sens fatigué ? L'élève a le droit de circuler d'un espace d'apprentissages à un autre, sans demander l'autorisation à un adulte, même si dans certains cas, les espaces d'apprentissages occupent plusieurs pièces de l'école. Cette libre circulation autorise l'élève à arrêter son travail quand il le souhaite, il y passe donc le temps qu'il veut y passer, l'adulte ne vient pas l'interrompre dans ses réalisations pour qu'il passe à un autre espace. La libre circulation concerne aussi les adultes de la classe : il n’y a pas d’atelier dirigé programmé à l’avance et avec obligation pour tous les élèves d’y « passer ». L’adulte se déplace, observe, accompagne et parfois, propose un temps de travail à plusieurs élèves car il est utile à chacun. L’ATSEM est également mobile et peut prendre l’initiative d’accompagner les enfants à aller plus loin dans telle activité, à changer d’activité ou à se lancer dans un défi, avec ou sans son aide.
L'ouvrage regorge de nombreuses photos. Sur quelles expériences votre ouvrage se base-t-il ?
Avant d'écrire cette nouvelle version, nous avons rencontré (depuis 2015) beaucoup d'enseignants qui nous ont accueillis dans leur classe. Ils nous ont livré leurs essais, leurs tâtonnements, leurs réussites et nous avons, à chaque fois que c'était possible, pris des photos. Nous avons voulu l'écriture de ces 3 livres pour aider les enseignants à faire un nouveau pas dans leurs pratiques. Alors comme déjà nombre de nos collègues testez des réaménagements d'espaces de vie, osez expérimenter des pratiques professionnelles différentes, éprouvez de nouveaux gestes pour permettre à chaque élève de s'approprier à son rythme et dans la bienveillance le savoir scolaire.